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  • : Soit dit en passant...
  • : Vous apprendrez à me connaitre au gré de mes humeurs, de mes découvertes, de mes rencontres, à travers les morceaux choisis de ma mémoire ou d'ailleurs que je coucherai sur mon écran au fil des jours. Pourquoi j'ai choisi d'écrire ? pour faire prendre l'air à mes idées. Comme avec le train, l'avion, le bus, ou encore le livre, la musique ou le bon vin... Le véhicule est le même, il peut vous mener de l'espagne au yang-tse-kiang en passant par la Bourboule.... Bienvenue a tous.
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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 22:45

tele_poubelle.jpg« panem et circenses », avait écrit Juvénal au IIème siècle. Pourvu que le peuple ait du pain et des jeux, et les consuls et empereurs romains pouvaient se garantir une  existence paisible. C’est à ce prix que les régimes en place perduraient, il faut croire que le cerveau distrait et le ventre plein, l’administré se montre beaucoup moins revendicatif. L’empire s’est modernisé avec le temps, mais la formule demeure, avec toutefois, une touche de perversion supplémentaire. On dit maintenant qu’il faut bien jouer pour avoir du pain.


Le 01 janvier 2011 à 20h30, sur une chaine publique de la télévision, on diffusait une émission de jeux intitulée « n’oubliez pas les paroles ». Le principe est simple, on demande au candidat de pousser la chansonnette avec l’aide des paroles en étant accompagné par un groupe de musiciens. On appelle cela un karaoké. Mais pour donner un attrait ludique à la prestation, on coupe la musique au milieu de la chanson et on demande aux artistes de deviner le mot ou la suite de mots qui auraient du défiler sur le prompteur. Rien de transcendant. On est « tout simplement, un samedi soir sur la terre » aurait chanté F.Cabrel. Mais là ou le génie du stratège contemporain se distingue de l’esprit simple du dirigeant antique, c’est en proposant le pain et les jeux dans un même concept. Et le pain, transposé à la télévision du XXIème siècle, c’est de l’argent. L’idée originale est donc de conditionner les gains des candidats à leurs bonnes réponses.


Ce soir, les joueurs sont des célébrités venues faire la promotion de leur dernière œuvre. Un livre ou un disque à vendre, un conte pour enfants à présenter, une prestation au théâtre à vanter, il ne suffit plus de souffrir pour être beau, il faut maintenant chanter pour être connu. Et c’est alors celui qui écoute qui commence à souffrir…Ah oui, j’allais oublier, on est le premier jour de l’année, c’est jour de fête, on est encore un peu groggy des effluves de la veille, on est rassasié des agapes du réveillon. On a eu notre pain, le jeu suffira. Ajouter une goinfrerie d’argent aurait été indigeste. Alors l’idée lumineuse a germé dans la tête de la production : une émission caritative. Tous les gains obtenus par les invités seront reversés à une organisation humanitaire. Rien de tel pour favoriser la digestion qu’une grande dose de bienveillance pour donner bonne mine à la conscience. Pour démarrer la nouvelle année, on transforme en générosité ce qui d’ordinaire aurait été de l’enrichissement.


Résumons-nous, un participant qui connait bien Michel Fugain, et c’est l’équivalent d’un village en Afrique qui sera vacciné contre la Malaria. Mais un seul mot oublié sur « Biche oh ma biche » et vous condamnez un jeune étranger à vivre avec sa malformation cardiaque encore plus longtemps.  Suspendre les dons, utiles à améliorer ou sauver des vies, au résultat d’un jeu, revêt l’élégance du propriétaire de manège lorsqu’il relève le pompon au dessus du bras de l’enfant qui se contorsionne avec envie pour attraper le précieux sésame.


 C’est Julien Lepers et Julie Pietri qui ouvrent le bal. Ils ont choisis de participer pour l’UNICEF. Dans les années 1980, un clip était diffusé pour sensibiliser et encourager les dons. On y voyait des enfants  rachitiques au visage émacié. Le film était accompagné d’une musique de Vangelis et d’une voix de femme qui fredonnait un air sans parole. Heaven and Hell pour les puristes, un morceaux poignant qui marque dès la première écoute et pour de nombreuses années, la preuve. Ce soir, lorsque l’adresse de l’organisme a défilé à l’écran, le public applaudissait nos 2 protagonistes qui venaient de perdre 10.000 euros après avoir échoué sur « Au champs Elysée » de Joe Dassin.


Marcel Amont et Emma Daumas sont arrivés ensuite pour annoncer leur engagement en faveur de « Mécénat Chirurgie Cardiaque ». Avant qu’ils ne commencent à chanter, ils nous ont gratifiés d’un somptueux enchainement de perles. Tout d’abord le présentateur Naguy a planté le décor en annonçant que ce choix était judicieux puisque « quand on commence une nouvelle année, on pense vraiment aux enfants ». Et oui, quelques semaines plus tard on aura un peu moins de scrupule à passer son chemin sans s’émouvoir, et la misère infantile aura rétrogradée dans l’échelle des considérations. Emma précise qu’il faut environ 10.000 euros pour accueillir un jeune et prendre en charge une opération cardiaque. Et le présentateur s’empresse d’ajouter qu’il va falloir être performant car la première bonne réponse ne rapportera que 250 euros… A sa décharge, avec un concept de jeu aussi ignoble, le champ des inepties est vaste, dans lequel il peut puiser pour meubler le dialogue.


C’est le pauvre Charles Trenet qui sera finalement complice bien involontaire de la désignation du nombre de bénéficiaires. Les deux compères ont en effet choisis de ne pas valider les paroles qu’ils soupçonnaient être les bonnes pour compléter la chanson « Je Chante ». La suite leur montrera qu’ils avaient tort de douter puisque leurs choix étaient les bons ! 15.000 euros de perdus. Avec un gain de 20.000 euros, les soins seront prodigués sur 2 enfants malades. Tout un symbole. En général c’est la quatrième place qu’il faut éviter pour ne pas échouer au pied du podium, cette fois, la place de bronze sera synonyme d’attente pour le malheureux client potentiel sur la Short-List. 


Enfin, pour clore le récital, Daniel Levi et Charlotte de Turckheim sont venus prêter leur concours au bénéfice d’Afghanistan Libre, une association qui œuvre pour l’éducation et la santé des femmes dans ce pays. La responsable de l’association à fait le déplacement pour la circonstance. Charlotte s’adresse a elle dès le début du jeu pour lui dire avec un large sourire « Elles sont mal barrées tes écoles si on se trompe, on est désolé, vous aurez au moins des crayons… ». Finalement elles recevront 35.000 euros les écoles, et si 15.000 euros supplémentaire leur ont été refusés, c’est parce que dans la chanson « Le monde est stone » il ne fallait pas confondre le mot « courir » avec le mot « souffrir ». Pour conclure, très élégamment, Naguy précise que si ils avaient pris le risque de jouer avec cette proposition, le règlement aurait fait retomber la cagnotte à 2.500 euros. Lorsqu’on veut soutenir la condition des femmes dans un pays ou elles meurent pour obtenir les droits les plus élémentaires, on se doit de le faire avec conviction et un minimum de dignité.


Ces émissions ont tout de même le mérite de procurer un peu d’argent et de faire la promotion pour des organismes à vocation humanitaire. Mais, sous couvert de générosité, on ne peut pas accepter la muflerie.


Les romains nous ont inspiré en architecture aussi. Toujours au IIème siècle de notre ère, ils ont érigé à Rome une colonne Trajane  pour immortaliser les campagnes menées par l’empereur Trajan contre les Daces. Napoléon fit de même en dressant une colonne, place Vendôme à Paris,recouverte d'une chape coulée avec le bronze des canons pris aux armées russes et autrichiennes lors de la bataille d’Austerlitz.


En regardant l’émission, c’est à ce monument que je pense.


Ce type de télévision culmine dans le paysage audiovisuel, comme une colonne Vendôme. Un bloc monolithique d’indécence qu’on galvanise avec la crédulité et l’appétit vénal prélevés sur les spectateurs. Cette pellicule porte un nom : "le temps de cerveau disponible". La variante, proposée ce soir là, avait sans doute pour but de hisser la statue de la honte au sommet de l’édifice, pour parfaire l’esthétique. 

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